Les croyances limitantes : pourquoi sont-elles si difficiles à changer et que faut-il pour y arriver ?

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Au début du 19e siècle, les chirurgiens faisaient face à deux problèmes majeurs qui tourmentaient la médecine depuis des siècles.

Le premier problème concernait la douleur engendrée par les opérations chirurgicales [7]. À l’époque, la chirurgie était si douloureuse pour les patients que lorsqu’ils apprenaient qu’ils devraient subir une intervention chirurgicale, ils préféraient se suicider. La chirurgie était la pire épreuve qu’une personne pouvait endurer.

Cependant, en 1846, un dentiste américain du nom de William TG Morton a découvert une substance qui rendait ses patients temporairement inconscients et, par le fait même, incapables de ressentir de la douleur [8]. Cette substance nommée « éther » fut une découverte majeure dans le monde de la médecine et changea le cours de l’histoire de la chirurgie.

La nouvelle de la découverte de Morton s’est répandue si rapidement qu’à peine quelques mois plus tard, elle était utilisée dans la plupart des salles de chirurgie du monde entier.

Une bonne fin, semble-t-il. Qu’en est-il du second problème ?

Le second problème majeur concernait les infections mortelles qui apparaissaient à la suite d’une opération chirurgicale. Au début du 19e siècle, les chirurgiens n’effectuaient aucune stérilisation entre les opérations chirurgicales. Lorsqu’ils terminaient une opération, ils s’engageaient dans la deuxième avec les mains sales et en utilisant les mêmes outils chirurgicaux qui avaient servi pour le premier patient, et ce, sans les stériliser.

Joseph Lister

Cependant, en 1860, un chirurgien britannique, Joseph Lister, a opéré des patients selon les méthodes hygiéniques établies par Ignaz Semmelweis et s’est rendu compte du succès que cela engendrait [9]. Il proposa donc à ses collègues de se laver les mains avant de les enfoncer dans une plaie ouverte, car cela semblait sauver des vies. Au début des années 1870, il a ensuite effectué un voyage à travers le monde pour faire part de ses résultats à tous les chirurgiens qu’il rencontrait.

Toutefois, contrairement à Morton lorsqu’il a découvert l’anesthésie, personne n’a écouté Joseph Lister. Durant des décennies, les chirurgiens ont continué à opérer des patients avec leurs mains sales, leurs robes sanglantes et leurs outils chirurgicaux qui n’étaient pas stérilisés entre les opérations.

Comment se fait-il que l’anesthésie fût adoptée si facilement et si rapidement alors que ce n’est pas le cas de l’hygiène chirurgicale ? Pourquoi une croyance est-elle si facile à accepter et une autre quasi impossible ?

Pourquoi les croyances limitantes peuvent-elles être si difficiles à changer ?

Pour faire simple : les gens sont stupides. Et pour cause, même si nous pensons être rationnels, nous adoptons en grande partie des croyances basées sur nos réactions émotionnelles.

Pour les chirurgiens du 19e siècle, les effets de l’anesthésie étaient immédiatement observables. Ces effets profitaient à la fois au patient et au chirurgien, et étaient assez simples à observer : il suffisait d’injecter un gaz au patient pour le mettre dans un état inconscient et permettre au chirurgien de se mettre au travail.

À l’époque, une telle découverte était incroyable. C’était comme si le docteur faisait de la magie. Comme c’était si incroyable et si facilement observable, la pratique s’est répandue très rapidement à travers le monde.

Puis, arriva l’époque où il fallait se laver les mains. Contrairement aux effets de l’anesthésie, les effets de l’hygiène chirurgicale n’étaient pas immédiatement observables. De plus, l’hygiène chirurgicale ne profitait pratiquement qu’au patient et sa mise en œuvre était difficile et coûteuse pour les chirurgiens. Il fallait se payer d’autres blouses, stériliser ses instruments chirurgicaux et utiliser des produits chimiques qui irritaient la peau des douces mains du chirurgien.

Toutes ses mesures supplémentaires étaient difficiles à supporter et il n’était pas assez évident que des vies allaient être sauvées grâce à celles-ci. Par conséquent, les chirurgiens y ont résisté, et ce, même après avoir vu des preuves scientifiques concernant leurs bienfaits.

Il s’ensuit donc que l’un des éléments fondamentaux qui rendent les croyances si difficiles à changer est le degré d’observabilité des croyances que l’on souhaite adopter.

Supposons, par exemple, que vous pensez être stupide ou peu attrayant. Vous aurez probablement du mal à prouver le contraire parce que la sagesse, l’attrait ou la gentillesse sont des notions vagues et abstraites. Et donc, votre envie d’être plus attrayant et moins stupide se soldera potentiellement par un échec et finira par renforcer votre croyance d’être stupide et peu attrayant.

Supposons cette fois-ci que vous pensez être incapable de gagner un million de dollars en raison de votre statut social. Votre environnement est gorgé d’individus qui ont le même statut que vous, voire pire que vous. Vous aurez probablement du mal à penser le contraire parce que vous ne connaissez personne dans votre entourage ayant réussi à gagner autant d’argent. Et donc, cette envie de gagner plus d’argent finira par renforcer votre conviction d’être incapable d’y arriver.

Comme l’ont mentionné Holowchak et Lavin dans une étude de 2015, les croyances négatives conduisent souvent à des comportements qui les renforcent encore plus [1]. Lorsque vous croyez que « vous n’êtes pas assez bon » pour un travail, vous êtes susceptible de provoquer des actions qui finiront par confirmer que vous n’êtes pas assez bon pour ledit travail. Lorsque vous croyez que « vous ne pouvez pas lui faire confiance », vous êtes susceptible de réagir d’une manière qui poussera l’autre personne à ne pas se soucier de votre confiance en elle. Lorsque vous croyez que « vous n’êtes pas important dans votre relation », vous êtes susceptible de tolérer les mauvais traitements qui finiront par confirmer cette croyance.

Alors, que pouvez-vous faire pour changer ces fausses croyances ?

Certaines personnes ont tendance à simplement se répéter constamment le contraire de ce qu’elles croient. Chaque matin, elles se placent devant le miroir en se regardant droit dans les yeux et se disent des phrases comme : « je suis aimable », « je suis intelligent », ou encore «  je mérite ce putain de bonheur » [10]. Cela ne fait qu’empirer les choses. En effet, une recherche sur les affirmations positives, effectuée en 2009, a montré que les personnes ayant une estime de soi négative qui se répètent des affirmations positives se sentent en réalité plus mal [2].

Ainsi, afin de pouvoir arrêter ce cercle vicieux des fausses croyances, deux options s’offrent à nous : désapprendre la croyance ou changer les preuves qui la soutiennent.

Analyse du cerveau

La première option consiste essentiellement à effectuer de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), un traitement psychologique qui se concentre sur le désapprentissage des pensées irrationnelles [3].

Supposons, par exemple, que vous avez adopté la phobie des chiens après avoir été mordu par un d’entre eux. Avec la TCC, vous apprenez progressivement que tous les chiens ne sont pas effrayants, mais seulement les plus agressifs. Ensuite, vous apprenez à tolérer la peur quand vous pensez à un petit chien mignon, puis quand vous pensez à un chien un peu plus grand, et ainsi de suite, jusqu’à temps que vous soyez en mesure de finalement penser au chien qui vous a mordu [4].

Cette thérapie peut vous aider à diminuer et à tolérer votre peur. Cependant, elle prend un certain temps et peut être inconfortable.

Cela nous conduit à la seconde option qui consiste à changer les preuves qui soutiennent nos croyances. Nous n’avons pas de contrôle direct sur beaucoup de nos croyances. Cependant, nous avons beaucoup plus de contrôle sur les preuves qui les soutiennent. De ce fait, en changeant ces preuves, nous pouvons, au fil du temps, influencer les croyances en question. Pour y arriver, commençons par identifier les preuves.

1. Identifiez les preuves qui soutiennent vos croyances

L’identification des preuves se fait de manière assez simple : posez-vous des questions simples sur la croyance et exigez de vous des réponses honnêtes. Ces réponses peuvent être parfois dures à admettre, mais la réussite de cette étape dépend du niveau de conscience de soi que vous avez de vous-même. S’il vous arrive d’être mal à l’aise avec une réponse, sachez qu’il y a probablement une part de vérité dans celle-ci.

Supposons que vous pensez que vous êtes peu attrayant et indigne de vous associer dans une relation avec une personne formidable. Quelles sont les preuves qui vous ont conduit à cette croyance ? Aviez-vous grandi dans une banlieue pauvre ? Pensez-vous que personne ne voudrait être avec quelqu’un qui a grandi de cette façon ? Avez-vous vécu un traumatisme qui vous pousse à vous sentir indigne d’amour et d’appréciation ? Ou alors, le désastre de vos trois dernières relations vous pousse-t-il à penser que vous n’êtes pas doué pour les relations ?

Ces questions, parfois très profondes, vous permettront de mettre la main sur les preuves qui soutiennent les croyances que vous alimentez depuis tant d’années. Une fois identifiées, ces preuves doivent être remises en question.

2. Remettez en question les preuves identifiées et décidez si elles sont encore utiles

Une croyance négative telle que nous la connaissons n’est potentiellement ni vraie ni utile pour notre vie. Nous l’adoptons très souvent à la suite d’expériences négatives qui soutiennent et confirment cette croyance au plus profond de notre être.

L’objectif de cette étape consiste donc à croire ce qui vous est utile dans votre vie. Il ne s’agit pas de croire à des faits flagrants comme croire que vous êtes riche alors que vous êtes endetté jusqu’au coup sur votre carte de crédit. Non. Il s’agit plutôt de commencer par séparer les faits de votre situation des interprétations que vous leur donnez.

Revenons à notre exemple à propos des relations. Il est peut-être vrai que vous avez grandi dans une banlieue pauvre et que vous avez eu des relations assez traumatisantes et désastreuses dans le passé. Or, cela signifie-t-il nécessairement que vous n’êtes pas attirant et que vous ne feriez pas un bon partenaire ? Bien évidemment que non.

Vous pourriez penser à la place que vos expériences font de vous une personne intéressante qui, en se montrant ouverte et vulnérable envers sa partenaire, pourrait lui faire voir la complexité de sa personne et les épreuves fascinantes qu’elle a dû traverser dans sa vie. Cette approche semble beaucoup plus attrayante que de parler de votre émission préférée [6].

La troisième et dernière étape pour changer les preuves qui soutiennent une croyance concerne les expériences positives.

3. Effectuez des expériences positives qui invalident la croyance négative

Les expériences positives peuvent nous prouver qu’on est « capable, assez bon ou important » de manière aussi convaincante que les expériences négatives ont prouvé qu’on était « incapable, pas assez bon ou inutile ».

Vous avez probablement expérimenté cela dans votre vie sans vous en rendre compte. Une simple inspiration et expiration profonde pendant une de vos pauses-déjeuner vous a poussé à vous sentir « bien ». Une conversation de soutien avec un ami, un membre de la famille ou un thérapeute vous a rendu « important » à vos yeux. Une réussite d’un examen après avoir travaillé dur vous a prouvé, ne serait-ce qu’un instant, que vous êtes « capable » de surmonter des obstacles.

Cependant, il y a une condition que vous devez satisfaire. Dans une étude effectuée en 2018 [5], six chercheurs en neuroscience ont montré que lorsque notre système nerveux est occupé à repousser les menaces qui pèsent sur notre survie, nous ne pouvons être dans un état de guérison et de rétablissement. Par conséquent, pour que les expériences positives puissent fonctionner efficacement, nous avons besoin d’un environnement stable qui ne renforce pas les fausses croyances.

Lorsque vous aurez trouvé cet environnement et que vous arrivez à implémenter sainement ces étapes, vos fausses croyances se dissiperont petit à petit pour laisser place aux croyances que vous aurez choisies. Et comme l’a dit l’auteure Marianne Williamson : « Rien ne vous emprisonne excepté vos pensées. Rien ne vous limite excepté vos peurs. Et rien ne vous contrôle excepté vos croyances. »

 

Notes

  1. Holowchak, Mark & Lavin, Michael. (2015). Beyond the Death Drive: The Future of “Repetition” and “Compulsion to Repeat” in Psychopathology.. Psychoanalytic Psychology. 32. 10.1037/a0037859.
  2. Wood, J. V., Perunovic, W. E., & Lee, J. W. (2009). Positive Self-Statements: Power for Some, Peril for Others.. Psychological Science, 20(7), 860–866.
  3. Rector, Neil A. (2010) La thérapie cognitivo-comportementale : Guide d’information. ISBN 978-1-77052-298-5.
  4. Zayfert, C., & Becker, C. B. (2006). Cognitive-behavioral therapy for PTSD: A case formulation approach.
  5. Sullivan, M. B., Erb, M., Schmalzl, L., Moonaz, S., Taylor, J. N., & Porges, S. W. (2018). Yoga Therapy and Polyvagal Theory: The Convergence of Traditional Wisdom and Contemporary Neuroscience for Self-Regulation and Resilience. Frontiers in Human Neuroscience, 12.
  6. Hey Sigmund. Vulnerability: The Key to Close Relationships. Intimate Relationships & Marriage.
  7. Brown M. Surgery and Emotion: The Era Before Anaesthesia. In: Schlich T, editor. The Palgrave Handbook of the History of Surgery. London (UK): Palgrave Macmillan; 2017 Dec. Available from: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK481552/ doi: 10.1057/978-1-349-95260-1_16.
  8. Your World Healthcare. “A History of Anaesthesia and Surgery in the Nineteenth Century: Your World Healthcare – Ireland.” Your World Healthcare, yourworldhealthcare.com/ie/news/a-history-of-anaesthesia-and-surgery-in-the-nineteenth-century.
  9. Moore, Levi. “Joseph Lister and the Story of Antiseptic Surgery.” Hektoen International, 16 Dec. 2019, hekint.org/2017/01/22/joseph-lister-and-the-story-of-antiseptic-surgery.
  10. Pour info, vous ne méritez rien du tout. Le bonheur n’est pas quelque chose qui est mérité.

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